lundi 18 février 2013

Kirche hoch zwei - Kirche²



De retour de Hanovre (Allemagne) où Gisèle Bulteau et Eric Boone ont présenté l'expérience des communautés locales. La question : dans l'expérience des communautés locales, quel visage d'Église se manifeste ? Quel avenir pour l'Eglise ?
1300 participants pour ce congrès œcuménique qui réunissait catholiques et luthériens avec la mise en valeur d'expérience d'Angleterre, des États-Unis, des Philippines... et donc de Poitiers !

Une rencontre à découvrir : www.kirchehochzwei.de

L'intervention d'Eric Boone à découvrir...

Quel visage d'Eglise se propose dans les communautés locales ?
Quel avenir se dessine ?
Copyright Éric Boone
à Hanovre, le samedi 16 février 2013


La mise en place des communautés locales dans le diocèse de Poitiers ne doit pas être comprise comme une simple réforme d'organisation de la structure de l’Église. Tout a plutôt commencé par un double mouvement :
  • une volonté de « recevoir » nos Synodes qui constituent un droit particulier pour le diocèse, en prenant au sérieux ses expressions.
  • Une longue réflexion – on pourrait presque dire « méditation » - sur l’Église dans le NT.


  1. Recevoir le Synode
L'expérience synodale n'est pas anecdotique. Je veux d'abord témoigner de ce que la célébration d'un synode constitue un événement majeur dans la vie d'une Église diocésaine. Le diocèse de Poitiers a fait le choix de célébrer deux synodes selon la forme canonique. Beaucoup de diocèses se lancent dans des démarches de type synodales ; nous avons plutôt fait le choix de célébrer deux synodes selon ce qui est prévu par le droit de l’Église. Ces synodes sont donc convoqués, présidés et promulgués par l'évêque ; les Actes deviennent alors un droit particulier pour le diocèse.
Or, le synode célébré en 1993, avait été interrogé sur l'opportunité de créer de nouvelles paroisses, dans un contexte national où beaucoup de diocèses étaient lancés dans des regroupements paroissiaux. La réponse du synode fut claire : avant d'aller vers de nouvelles paroisses, il fallait redynamiser les communautés locales.
Au départ, personne ne fit vraiment attention à cette expression des communautés locales. Elle paraissait anodine. C'est en arrivant que notre nouvel évêque, Mgr Rouet, quelques mois après la promulgation des Actes de ce synode, a vu l'importance de ce mot et nous a alerté sur ce vocabulaire. Que voulions-nous dire ? Il nous fallait préciser ce point pour recevoir authentiquement notre synode. On pourrait ici citer le n° 6 du décret conciliaire trop oublié aujourd'hui sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterorum ordinis :
« La communauté locale ne doit pas s'occuper seulement de ses propres fidèles ; elle doit avoir l'esprit missionnaire et frayer la route à tous les hommes vers le Christ. Mais elle est tout spécialement attentive aux catéchumènes et aux nouveaux baptisés, qu'elle doit éduquer peu à pe dans la découverte et la pratique de la vie chrétienne ».

Nous retenons ici trois points :
  • L'expérience de la célébration d'un synode comme une expérience qui nous dépasse, comme l'expression de l’Église qui se fie à l'Esprit Saint qui l'inspire au-delà même de ce qu'elle prévoit.
  • La réception de ce synode qui fait passer un texte dans la chair de l’Église et qui demande une attention aux signes des temps et un véritable travail qui est de l'ordre de la conversion. Je souhaite à l’Église catholique allemande de vivre des synodes dans la confiance que Dieu lui-même guide son Église !
  • L'expression communauté locale nous a replacé dans une dynamique missionnaire. Il ne s'agit pas de gérer des besoins religieux mais d'offrir à tous un chemin d'Evangile et de manifester la pertinence d'une vie évangélique au cœur de la société. Les évêques de France nous y ont invité avec courage dans une Lettre adressé au peuple catholique, en 1996 : Proposer la Foi dans la société actuelle.

  1. Qu'est-ce que l’Église ?
L'invitation faite par notre évêque de prendre au sérieux une expression de notre synode nous a permis de réaliser un travail important pour répondre à cette simple question : qu'est-ce que l’Église ? Que faut-il pour qu'il y ait l’Église ? Ce travail fut précieux, à nouveau pour sortir d'une perspective d'abord organisationnelle et nous ouvrir à une démarche véritablement évangélique. Relisant les récits de la Résurrection, et notamment celui des pèlerins d'Emmaüs (Lc 24), nous avons compris que l’Église était la communauté de celles et ceux qui reconnaissaient le Christ à travers l'interprétation des Ecritures, le partage de l'Eucharistie et la rencontre des frères. Aucun des ces trois pôles – martyria, leiturgia, diaconia – ne peut manquer dans l’Église. C'est ainsi que sont nées les délégations de nos communautés locales, non comme des tâches à remplir mais bien comme le lieu de manifestation d'un visage d’Église qui donne le Christ à reconnaître.
Le déploiement de ces trois dimensions de la vie chrétienne trouve évidemment sa source dans le baptême. Le rituel précise : Après le bain, le ministre prend le Saint Chrême et l'applique sur le front en disant : « Tu fais partie de son peuple, Il te marque de l'huile du salut afin que tu demeures membre de Jésus-Christ, prêtre, prophète et roi pour la vie éternelle ».

C'est le Christ qui est prêtre, prophète et roi et il s'agit pour les baptisés de vivre leur baptême, c'est-à-dire de demeurer membre de Jésus-Christ. La tentation existe de voir dans les communautés locales un palliatif à la diminution du nombre de prêtres. Ce serait une grave erreur de perspective : il s'agit bien plutôt de faire naître l’Église dont la source est sacramentelle tant il est vrai que l'initiative première vient de Dieu. Il ne s'agit pas d'une répartition nouvelle des tâches mais véritablement du déploiement de la mission de l’Église du Christ à partir du baptême qui nous fait chrétien. Je vous souhaite de pouvoir réfléchir à l'avenir de l’Église à partir du baptême nourri de l'Eucharistie, confirmé dans la foi. C'est là la source vive de la foi.

  1. Manifester une Église envoyée
Il y a une exigence radicale dans nos communautés locales. Puisque nous partons bien du baptême et donc de la grâce, il s'agit de manifester que la mission n'appartient à personne, qu'elle est la mission de tous, la mission de l’Église elle-même. Le concile précise : « il y a, dans l’Église, diversité de ministères mais unité de mission » (Décret sur l'Apostolat des laïcs, n° 2). Le renouvellement, tous les trois ans, de nos équipes attestent que tous sont appelés et envoyés et que rien n'est la propriété de personnes. Les équipes manifestent donc que la foi se vit toujours sous mode d'appel et d'envoi. C'est, évidemment, l'expérience du prophétisme biblique, d'Abraham à Ezéchiel en passant par Moïse, Isaïe ou Jérémie... c'est l'expérience, bien sûr, des 12, des apôtres, des disciples. L'Eglise ne s'édifie pas à partir d'elle-même mais à partir d'un appel et d'un envoi qui est le mouvement même du Christ, envoyé du Père. La foi n'est pas possession tranquille, il ne s'agit pas d'installer l’Église mais de l'envoyer pour qu'elle porte du fruit. Actuellement, notre diocèse réfléchit à la mise en place de paroisses. Il ne s'agit pas de revenir à l'image de la paroisse telle qu'on l'a connue dans l'histoire mais bien de redécouvrir la paroisse comme du séjour provisoir (paroikos). Abraham, le pèlerin de Dieu, est bien le premier paroissien !


IV Une Église de la proximité
L'envoi manifeste une Église de la proximité, au cœur des situations humaines les plus simples et les plus quotidiennes. C'est là que les chrétiennes mêlent leur voix à celles de tous. J'ai noté que lors du synode romain sur la nouvelle évangélisation, ce point avait été souligné. On n'annonce pas l’Évangile de loin. Le Christ s'est approché. Sans doute le temps de la pèche au filet est-il terminé. C'est plutôt l'heure de la pèche à la ligne. C'est onéreux, mais c'est aussi essentiel à l'heure où tant d'hommes et de femmes frappés durement par ce que l'on appelle « la crise » se sentent inutiles ou en trop. Ce peut-être une bonne nouvelle de rencontrer une communauté toute simple, fragile mais dont la fraternité, la proximité, la solidarité disent le poids d'une existence et appellent d'autres à s'engager.
Cette proximité si simple peut dire quelque chose de la générosité de l’Évangile. Et lorsque cela est possible, il faut aussi pouvoir aller jusqu'à appeler à devenir chrétienne et transmettre le bon goût de l’Évangile. Comment oublier le dialogue entre Jésus et les ouvriers de la dernière heure : « Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour sans rien faire ? » « C'est que, lui disent-ils, personne ne nous a appelés ! » (Mt 20, 6-7). Nous sommes sans doute aujourd'hui à l'heure où il faut entendre cette parole dans toute sa force. Nous sommes, en France, en pays de mission. Nous n'avons pas à vivre de nostalgie mais à découvrir (pour nous-même d'abord) et à proposer la foi comme joyeuse réponse à un appel.

  1. Les prêtres
Lorsque l'on parle des communautés locales, on nous interroge souvent sur les prêtres : que deviennent-ils ? Ne sont-il pas oubliés dans une telle organisation ?
Evidemment, heureusement, non. Partir du baptême, ce n'est pas oublier les prêtres, c'est au contraire partir de la grâce dont le prêtre, est signe et témoin pour la communauté. Là encore, citons Presbyterorum ordinis, n° 6 : « Comme éducateurs de la foi, les prêtres ont à veiller, par eux-mêmes ou par d'autres, à ce que chaque chrétien parvienne, dans le Saint-Esprit, à l'épanouissement de sa vocation personnelle selon l’Évangile. […] Pour arriver à cette maturité, les prêtres sauront les aider à devenir capables de lire dans les événements, petits ou grands, ce que réclame une situation, ce que Dieu attend d'eux ».
Les prêtres sont éducateurs de la foi. Ils sont au service de l'édification du corps du Christ. D'une masse, de chrétiens juxtaposés, ils doivent faire un corps, des chrétiens rassemblés. Pour cela, il leur est demandé de veiller à chacun, de permettre à chacun de donner le meilleur de ce qu'il porte pour le mettre au service de la communauté.
A nouveau, on retrouve dans cette citation le terme de vocation. Éduquer, c'est donc bien appeler, susciter... Il s'agit d'appeler pour envoyer. Non tout faire, tout contrôler, mais appeler et envoyer pour signifier que tous sont appelés et envoyés, que tous ont à appeler et à envoyer.
On ne peut réduire le ministère des prêtres à la somme de ce qu'ils font ou de ce qu'ils ont le droit de faire et que les fidèles laïcs ne peuvent pas faire. Il y a là un danger qui nous guette : ce serait renoncer à la sacramentalité de l’Église et, du coup, ruiner de l'intérieur le ministère des prêtres. L'enjeu est de taille.
Paul parle des presbytres en disant qu'ils sont « pères dans la foi »... nous avons repris cette expression dans notre synode. A rebours des schémas mondains qui voudraient faire des prêtres des cadres de l’Église, l'image paulinienne nous met devant le cœur du ministères des prêtres. Qu'est-ce qu'un père ? Celui qui engendre, mais aussi celui qui fait grandir, qui donne son enfant au monde, en le rendant adulte. C'est bien pour cela que le prêtre est au service de la communion, de l'articulation. Il est sans cesse celui qui empêche une communauté de boucler sur elle-même en lui rappelant, en signifiant son origine.

VI. La formation
Évidemment, ces points trop vite abordés sont autant d'indicateurs pour la formation. Je termine en donnant quelques indications sur ce point.
  • les prêtres sont formés, autant que possible, avec les fidèles laïcs. Bien sûr, il est parfois nécessaire qu'ils aient des cours, des formations spécifiques. Mais rien n'empêche – et même tout recommande – qu'ils suivent les mêmes cours de théologie que les laïcs. Non seulement pour une question de contenu des cours mais plus encore parce que l'enjeu est fort d'entendre les mêmes éléments, de partager les mêmes expériences, d'apprendre à connaître les personnes avec lesquelles on sera appelé à travailler. Le centre théologique de Poitiers, en charge de la formation, ouvre la plupart de ses formations à tous.
  • Bien sûr, la formation se veut la plus précise, la plus sérieuse possible. Pourtant, elle ne tend pas d'abord à l'érudition mais cherche à développer un art de vivre la foi. Cela suppose d'entrer dans la cohérence de la foi qui n'est pas une succession de vérité sur Dieu mais bien un organisme structuré. Cela suppose aussi d'entrer dans l'intelligence du monde qui nous entoure, de comprendre les mentalités, d'analyser les évolutions de la société. Ainsi, on pourra montrer que la foi donne certes à penser mais aussi, mais d'abord, à vivre.
  • Enfin, la formation doit nous enraciner dans l’Évangile. Nouer ce que nous séparons si souvent : théologie, pastorale et vie spirituelle. Non pas trois discours juxtaposés mais trois réalités à articulés, qui se fécondent mutuellement.

Concrètement, à cause de ce que j'ai dit plus haut, nous visons à mettre en place des formations de proximité. Nous allons, dans des groupes souvent restreints, là où les personnes vivent. Avec eux, nous ouvrons l’Évangile, nous réfléchissons à la posture de Jésus dans l’Évangile pour voir comment elle peut nous inspirer aujourd'hui. Nous essayons d'offrir un temps gratuit, de recul par rapport à un quotidien souvent très chargé.
Nous essayons aussi de faire connaître les Actes du concile, ses grandes affirmations, ses articulations et la façon dont nous pouvons le recevoir.
Ces formations sont modestes : une soirée par mois pendant un ou deux ans. Mais je peux témoigner du sérieux de l'engagement de chacun et des fruits qu'elle porte. Beaucoup disent leur joie de pouvoir mettre des mots sur leur expérience de foi, de pouvoir aller au cœur de la foi. Ils en parlent en terme de libération par rapport, souvent, à des expériences d'enfance et des vieux souvenirs de catéchisme. Pour le formateur, ce mot de libération est essentiel car il correspond à la première expérience des Hébreux pour qui Dieu est d'abord celui qui les a libérés d'Egypte.

Je vous remercie.

Éric Boone


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